Intervention de Sandrine Rousseau

Séance en hémicycle du lundi 27 mars 2023 à 21h30
Lutte contre le dumping social sur le transmanche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Rousseau :

Dans la guerre ultraconcurrentielle que se livrent les ferries transmanche, une nouvelle arme est née : le fire and rehire, ce procédé qui consiste, pour une entreprise, dès lors qu'elle justifie de conditions économiques dégradées, à licencier ses salariés pour embaucher ensuite à des conditions sociales bien moins protectrices pour les travailleurs, donc plus avantageuses pour l'entreprise. « Conditions économiques dégradées » : le terme ne pourrait pas être plus flou. Or, « quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup », disait la grand-mère de qui vous savez.

Cet outil cynique, très utilisé au Royaume-Uni, a été employé en mars 2022 par la compagnie britannique P&O Ferries, après avoir licencié près de 800 marins – un licenciement massif, brutal et même violent, sans préavis, et annoncé en trois minutes par visioconférence, sans aucune considération pour les travailleurs. Ces derniers ont été immédiatement remplacés par des marins ressortissants de pays à bas coût de main-d'œuvre. La compagnie de transport maritime low cost Irish Ferries, qui traverse le détroit du Pas-de-Calais avec des navires battant pavillon chypriote, emploie des marins étrangers dans des conditions sociales bien inférieures aux normes françaises ou même britanniques. Ces acteurs concurrencent les compagnies françaises et accélèrent les suppressions d'emplois.

Un chiffre doit nous alerter : l'écart de masse salariale entre un navire exploité sous pavillon français et un navire exploité sous pavillon chypriote est de 60 %. Cette méthode de dumping social massif permet aux compagnies qui la pratiquent d'offrir des tarifs inférieurs de 35 % à ceux des compagnies classiques. Le Brexit n'a rien arrangé, puisque la traversée de la Manche a changé de statut, passant du régime de la navigation intracommunautaire à celui de la traversée internationale : plus aucun obstacle ne s'oppose au recours à des marins étrangers. Évidemment, le pavillon chypriote permet aussi, au passage, de faire de l'évasion fiscale. Alors de quoi s'agit-il ? De ruissellement ? De dumping ? De concurrence libre et non faussée ? C'est, en tous les cas, un massacre social.

En plus de niveler les conditions de travail par le bas, les méthodes agressives de dumping social nuisent aussi à la sécurité des navires et des passagers. La question de la sécurité maritime est en effet indissociable de celle des conditions de vie et de travail des équipages. L'intensification des rythmes de travail – parce qu'en plus d'être moins bien payés, les marins, de surcroît, travaillent plus – et toutes les heures ainsi enquillées font courir un risque plus élevé d'accident, sur une des liaisons maritimes les plus denses au monde.

Fort logiquement, les partenaires sociaux, les armateurs, les syndicats de marins et les élus pressent donc les puissances publiques française et britannique d'agir. Les marins attendent depuis longtemps que nous agissions pour les protéger. Nous, représentants de la nation, devons désormais les écouter. Tel est l'objectif affiché du texte qui nous est présenté : garantir que le transport de passagers dans les dessertes de liaisons régulières internationales soit réalisé dans des conditions sociales acceptables, garantissant les droits des salariés ainsi que des conditions de concurrence équitables entre les différentes entreprises du secteur. La proposition de loi vise principalement à réguler le salaire minimum des marins. Nous, écologistes, regrettons qu'elle n'aille pas plus loin en matière de régulation du temps de travail, alors même qu'une telle régulation est incontournable pour lutter efficacement contre tout dumping social.

Le groupe Écologiste – NUPES vous invite donc, chers collègues à adopter largement les amendements que nous présenterons et qui s'inscrivent dans la lignée des dispositions avancées par notre collègue Sébastien Jumel dans sa proposition de loi visant à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche. Leur adoption permettrait d'aller plus loin pour encadrer le rythme de travail et pour rémunérer les heures supplémentaires. Nous défendrons également un amendement, n° 32 , visant à étendre ces dispositifs aux sous-traitants.

Si le texte permet de garantir un socle social minimal sur le transmanche, il doit aussi constituer la première pierre d'une reconquête plus globale du droit du travail en mer et la première étape vers la construction d'un socle social garanti. La mer est le lieu où s'exerce le plus fortement la concurrence sauvage qui est l'apanage d'une mondialisation sans règles. Sortons le droit de notre manche pour qu'il couvre de ses habits protecteurs l'ensemble du trafic maritime.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion