Intervention de Charlotte Caubel

Séance en hémicycle du lundi 13 novembre 2023 à 16h00
Protection des enfants victimes de violences intrafamiliales — Présentation

Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance :

Quelques chiffres, que je continuerai à marteler tant qu'ils n'auront pas diminué, pour mesurer l'importance du phénomène : chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles ; toutes les trois minutes, un enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle ; au moins 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré être victime de violences d'un conjoint ou ex-conjoint ; enfin, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents, un drame qui constitue l'aboutissement de violences intrafamiliales préalables.

Face à ces chiffres et à cette réalité inacceptables, le Président de la République a fait de l'enfance et de sa protection l'un des sujets prioritaires du quinquennat. La protection des droits des enfants commence par la garantie de leur intégrité et de leur sécurité physiques : mieux lutter contre les violences faites à nos enfants doit être le cœur de l'engagement de chacun d'entre nous.

La Première ministre a structuré l'action résolue du Gouvernement en fixant une feuille de route très claire, suivie par un comité interministériel à l'enfance, qui coordonne l'action de tous les ministres impliqués.

Lundi 20 novembre prochain, elle réunira le troisième comité interministériel à l'enfance, nouvelle étape dans notre mobilisation contre ce fléau. Nous présenterons un second plan de lutte contre ces violences, notamment issu des recommandations très utiles de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).

Depuis plus d'un an, dans la continuité des actions menées au cours du précédent quinquennat, l'ensemble du Gouvernement travaille intensément afin de mieux protéger les enfants victimes de violences : création d'un office central de la police judiciaire dédié à la lutte contre les violences faites aux enfants, déploiement d'unités d'accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped), renforcement de la formation des professionnels, mise en place d'une plateforme de soutien pour ces derniers, etc.

C'est pourquoi, à quelques jours de la Journée internationale des droits de l'enfant, je me réjouis de l'examen en deuxième lecture devant votre assemblée de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, défendue avec conviction par Mme Isabelle Santiago.

Ce texte, madame la rapporteure, renforcera les outils de la justice pour lutter plus efficacement contre ces violences et assurer une protection complète aux enfants victimes. En effet, votre proposition de loi vise à renforcer les dispositifs juridiques existants en suspendant l'autorité parentale du parent poursuivi pour agression – de même que ses attributs –, et en la lui retirant de manière systématique en cas de condamnation, sauf décision contraire spécialement motivée.

Soulignons les contributions décisives des députés de la majorité, au premier rang desquelles celles de la présidente de la délégation aux droits des enfants, Perrine Goulet, des députés Éric Poulliat, Nicole Dubré-Chirat, Erwan Balanant et Marie-Agnès Poussier-Winsback.

Ce texte soutenu par le Gouvernement, fruit d'un travail important avec la Chancellerie – je salue l'engagement fort d'Éric Dupond-Moretti –, et enrichi par la navette parlementaire, approche désormais de la maturité, comme en témoigne le peu d'amendements soumis à votre vote.

Quels sont les principales mesures et les équilibres qui les sous-tendent ? L'article 1er étend aux faits d'agressions sexuelles ou de crimes commis sur son enfant, les principes et les modalités de suspension de l'autorité parentale et de ses attributs en cas de poursuite par le ministère public, de mise en examen par le juge d'instruction ou de condamnation, même non définitive.

Avec cet article, la suspension de plein droit de l'autorité parentale et de ses attributs court jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales – qui peut être saisi par le parent poursuivi – ou jusqu'à la décision de non-lieu, jusqu'au jugement ou à l'arrêt pénal.

Cet article prévoit également la suspension de l'autorité parentale en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences sur l'autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, lorsque l'enfant a assisté aux faits.

En vertu d'un décret pris par le garde des sceaux fin 2021, cette condition est déjà appréciée assez largement par les autorités de poursuite, qui procèdent quasi systématiquement aux auditions des enfants en cas de violences conjugales afin d'évaluer l'impact de ces violences sur les mineurs, en particulier lorsqu'ils en ont été témoins.

Une fois la proposition de loi votée, une circulaire d'application du garde des sceaux à l'attention des procureurs permettra de s'assurer que la nouvelle condition est évaluée de manière systématique et large. En outre, la suspension courra jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales, qui devra être saisi par l'un des parents dans un délai de six mois à compter de la condamnation. À défaut de saisine dans ce délai, les droits du parent condamné seront rétablis. Je me félicite que votre commission ait restauré le dispositif dans sa version votée par l'Assemblée nationale en première lecture.

L'article 2 de la proposition de loi élargit les modalités de retrait de l'autorité parentale ou de ses attributs. Si votre commission a décidé de préserver pour partie la version du Sénat, des ajouts viennent parfaire le dispositif.

La rédaction votée par le Sénat en première lecture modifiait le mécanisme de retrait de l'autorité parentale ou de son exercice : lorsque le parent avait été condamné comme auteur, coauteur ou complice d'une agression sexuelle incestueuse commise sur son enfant ou d'un crime commis sur son enfant ou sur l'autre parent, le juge pénal avait l'obligation de se prononcer sur le retrait total de l'autorité parentale, et la décision de ne pas ordonner un tel retrait devait être spécialement motivée ; lorsque le parent avait été condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis sur l'enfant autre qu'une agression sexuelle incestueuse, le juge pénal avait l'obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou sur le retrait de son exercice ; enfin, lorsque le parent avait été condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis sur l'autre parent, ou comme coauteur ou complice d'un crime ou d'un délit commis par son enfant, le juge pénal avait la possibilité d'ordonner le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de son exercice.

Votre commission a fait en sorte de renforcer le dispositif : désormais, lorsque le parent a été condamné comme auteur, coauteur ou complice d'une agression sexuelle incestueuse commise sur son enfant ou d'un crime commis sur son enfant ou sur l'autre parent, le juge pénal a l'obligation, non plus seulement de se prononcer, mais d'ordonner le retrait total ou partiel de l'exercice de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Il n'a donc plus une obligation de statuer sur ce retrait, mais de l'ordonner, sauf décision contraire spécialement motivée.

L'article 3 vise à coordonner le code pénal avec les modifications introduites dans le code civil. La méthode adoptée par les deux chambres est différente. La version soumise à vos débats est issue de l'adoption des amendements de Mme la rapporteure et de M. Poulliat en commission, qui visent principalement à rétablir l'article 3 dans sa rédaction adoptée en première lecture par votre assemblée.

Deux amendements, d'initiative commune, vont être soumis à votre assemblée, afin que le code pénal comporte un article unique regroupant toutes les dispositions relatives au retrait de l'autorité parentale, et que ces dispositions soient identiques à celles du code civil. Clarté, lisibilité et impact, tels sont nos objectifs.

J'espère ardemment que vous adopterez ce texte, car nous devons envoyer un signal clair et rappeler aux parents que donner la vie à un enfant, c'est certes exercer une autorité pour l'élever, mais c'est aussi, et avant tout, une responsabilité. Quand on a été irresponsable, la justice doit intervenir pour protéger l'enfant et limiter les droits de ses parents. En autorisant un parent, mis en cause ou, a fortiori, condamné, à continuer à prendre des décisions dans la vie quotidienne d'un enfant qu'il l'a violenté ou violé, on fait perdurer la violence et l'emprise.

Mesdames et messieurs les députés, avec vous, nous avons à cœur d'aboutir à une protection renforcée de nos enfants. Il y a quelques semaines, nous avons lancé une campagne choc pour réveiller notre société sur le fléau des violences sexuelles subies par les enfants. L'élan créé doit s'accompagner de nouveaux outils pour combattre ce fléau : je suis certaine que ce texte y contribuera fortement.

La justice n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle s'occupe des tout petits : le proclamer une nouvelle fois haut et fort, tel est l'enjeu de nos débats. Nous avons besoin de la mobilisation de tous et toutes ; c'est pourquoi je vous remercie pour votre engagement et votre mobilisation afin d'améliorer et de renforcer la protection de nos enfants.

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