Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du mardi 23 mai 2023 à 21h30
Programmation militaire 2024-2030 — Article 2 et rapport annexé

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

C'est la deuxième raison qui justifie l'avis défavorable du Gouvernement. Je rappelle au passage que cette absence de partage est l'un des motifs – je fais un peu d'histoire, puisque le député Le Fur nous y a invités – pour lesquels plusieurs familles politiques se sont longtemps opposées à cette dissuasion voulue par les gaullistes, en majorité relative entre 1958 et 1962. En effet, les centristes voulaient qu'elle soit partagée sous la forme d'un bouton européen, alors que d'autres suivaient les ordres venus de Moscou et que d'autres encore, notamment à l'extrême droite, s'opposaient systématiquement au général de Gaulle, peu importe ce qu'il proposait.

Il est donc vrai que la dissuasion nucléaire a pris du temps à être acceptée au cours des années soixante – même si, cela a été rappelé ici, Pierre Mendès France avait créé dès la décennie précédente l'embryon de la DAM, la direction des applications militaires. Il est vrai qu'il avait été membre du gouvernement du général de Gaulle et qu'au lendemain de la Libération, les Résistants se disaient : « Plus jamais juin 1940 » – comme d'autres ont pu se dire quelques années plus tard : « Plus jamais l'humiliation de Suez ».

Troisièmement, je suis tout à fait opposé à ce que nos intérêts vitaux soient d'une manière ou d'une autre encadrés, parce que la force de notre modèle de dissuasion – et j'ai en effet bien compris que vos amendements étaient d'appel et visaient à susciter à nouveau un débat sur le sujet –, c'est qu'ils ne le sont pas. Sinon, ce serait un des moyens de l'affaiblir, de l'amoindrir. Bien sûr, un président de la République, et lui seul selon la logique de notre système institutionnel, pourrait en décider autrement et souhaiter clarifier cette notion d'intérêts vitaux dans les grammaires de la dissuasion et de la diplomatie, s'il l'estimait nécessaire en tant que chef des armées et chef de la diplomatie. Sans aller beaucoup plus loin dans la démonstration, je rappelle que quand les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, puis le président Macron, ont dit que nos intérêts vitaux avaient nécessairement une dimension européenne, cela n'a jamais signifié que l'usage de la dissuasion devait être partagé au niveau européen, mais qu'ils estimaient que la sécurité de la France peut aussi se mesurer en fonction de ce qui peut se passer autour. Je n'en dirai pas plus parce que c'est aussi la force de la dissuasion que de ne pas en dire plus sur ce que sont les intérêts vitaux.

Pour l'ensemble de ces raisons, j'émets un avis défavorable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion