Intervention de Jérémie Iordanoff

Séance en hémicycle du lundi 6 mars 2023 à 16h00
Garantir le respect du droit à l'image des enfants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Iordanoff :

Je remercie le rapporteur pour son engagement constant en faveur de la protection des enfants contre les pratiques numériques de certains parents. Monsieur Studer, en 2020, vous aviez déjà proposé d'encadrer l'exploitation commerciale de l'image des enfants influenceurs. Aujourd'hui, vous proposez de faire évoluer notre législation sur le sujet plus large de l'exposition numérique des enfants par leurs parents.

Le besoin de reconnaissance des parents à travers les réseaux sociaux est une donnée nouvelle, qu'il faut prendre au sérieux. Pour de nombreux parents, en effet, partager des photos et des vidéos de leurs enfants en ligne est devenu un acte banal. On sait pourtant à quel point ces intrusions quotidiennes dans la vie privée des enfants comportent des risques pour leur développement, parfois pour leur sécurité ou tout simplement pour le respect de leur vie privée. L'espace de la famille ne doit pas rester à l'écart du droit. Il est de notre devoir d'assurer aux enfants la protection qui leur est due.

On pourrait même s'engager sur la voie d'une réflexion plus large concernant l'effectivité des droits des enfants lorsqu'ils entrent en conflit avec ceux de leurs parents. Sans doute faudrait-il songer à renforcer l'autonomie des mineurs sur le terrain procédural. Avec ce texte, vous travaillez dans une autre direction, sur un sujet particulier – la mise en ligne par les parents d'images de leurs enfants – et le groupe Écologiste – NUPES partage votre volonté de mettre l'ouvrage sur le métier. Toutefois, le chantier est vaste et nécessite une vision large des leviers à mobiliser. Je regrette donc que la proposition de loi ne réponde pas entièrement aux questions soulevées par l'exposé des motifs. Il me semble, en effet, qu'une partie du dispositif n'est pas indispensable et que le dernier article manque un peu la cible.

Faut-il modifier notre législation relative à l'autorité parentale ? Les parents ont déjà le devoir d'assurer l'éducation et le développement de leur enfant, dans le respect de sa vie privée, dont le droit à l'image est une composante reconnue par les tribunaux. J'ajoute que le double consentement des parents est d'ores et déjà requis pour la publication de photos sur internet, cet acte n'étant pas considéré comme usuel. La jurisprudence est claire à ce sujet. Par conséquent, les trois premières dispositions de la proposition de loi ne modifient pas l'état du droit. Néanmoins, vous avez indiqué en commission que votre intention était surtout de moderniser notre code civil en précisant les choses. Bien que nous jugions ces modifications plus symboliques que normatives, nous n'y ferons pas obstacle.

À l'article 4, vous proposez de recourir à la délégation forcée de l'autorité parentale lorsque la publication porte gravement atteinte à la dignité de l'enfant ou à son intégrité morale. La délégation forcée est, à ce jour, une mesure judiciaire mobilisée par le juge aux affaires familiales dans des cas désespérés : délaissement de l'enfant, troubles mentaux des parents, crime commis sur le conjoint. Vous souhaitez ajouter à cette liste les publications indignes. Il est vrai que certaines vidéos posent question. Vous avez pris l'exemple du cheese challenge ; de telles publications sont dégradantes et parfois révélatrices de maltraitance.

Je comprends donc votre idée : il faut trouver un moyen de protéger l'enfant contre ses parents en l'absence de désaccord puisque seul un désaccord entre eux permet actuellement d'interdire la diffusion de photographies en ligne. Mais est-il pour autant nécessaire d'étendre le mécanisme de la délégation forcée de l'autorité parentale ? N'est-ce pas disproportionné par rapport aux autres hypothèses ? Par ailleurs, ne disposons-nous pas déjà dans notre droit des dispositions nécessaires pour répondre à ces situations ? Les cas extrêmes que vous ciblez ne peuvent-ils pas être assimilés à des violences éducatives ordinaires, au sens de la loi du 10 juillet 2019 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires ? Ils sont, par construction, déjà interdits et des dispositifs administratifs et judiciaires permettent d'y répondre, que ce soit les actions menées par les départements dans le cadre de la protection de l'enfance ou les mesures d'assistance éducative prises par le juge des enfants.

S'il doit y avoir délégation de l'autorité parentale, nous pensons qu'elle doit être circonscrite à l'exercice du droit à l'image. La nouvelle rédaction de l'article 4 que j'ai proposée par voie d'amendement me paraît satisfaisante et je vous remercie de l'avoir approuvée.

Par ailleurs, ne perdons pas de vue les cas moins graves, mais beaucoup plus nombreux, dans lesquels les atteintes quotidiennes à la vie privée des enfants proviennent de parents dénués d'intention malveillante. Dans leur grande majorité, ces parents ignorent les dangers auxquels ils exposent leurs enfants. C'est donc un problème de prise de conscience et l'on ne peut pas traiter la question en utilisant les moyens classiques du droit civil ou du droit pénal. Au fond, aucune solution efficace ne pourra être trouvée sans une sensibilisation des parents. Des dispositifs permettant de mieux les accompagner et de mieux les informer sont nécessaires. On pourrait par exemple imaginer une campagne de prévention sur le modèle de celle qui existe pour mettre en garde contre les dangers de la consommation d'alcool pendant la grossesse.

Pour le groupe Écologiste – NUPES, tous les mécanismes possibles doivent être envisagés ; c'est le sens de notre demande de rapport. En tout état de cause, nous partageons vos objectifs. C'est la raison pour laquelle, malgré ses doutes et ses réserves, mon groupe votera en faveur de la proposition de loi.

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