Intervention de Roger Chudeau

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger Chudeau, rapporteur :

Mes chers collègues, je voudrais vous convier à prendre un peu de recul et de hauteur avec l'objet premier de cette proposition de loi : l'obligation du port d'une tenue uniforme aux couleurs de l'établissement scolaire pour nos écoliers et collégiens de l'enseignement public.

La IIIe République a voulu une école publique et laïque, une instruction obligatoire et gratuite, dispensant un enseignement de nature scientifique, dans une visée émancipatrice et progressiste inspirée des universaux des Lumières. Marque du génie politique de nos prédécesseurs, l'école publique a conforté, fortifié et installé définitivement l'idée républicaine dans l'esprit et le cœur du peuple français.

Notre système éducatif a relevé au long du XXe siècle tous les défis auxquels fut confrontée la nation : élévation continue du niveau d'instruction des Français, accompagnement des progrès scientifiques et techniques, mobilité sociale par le mérite scolaire, transmission des valeurs fondatrices de notre civilisation. Des historiens tels que Pierre Nora, Fernand Braudel ou Pierre Chaunu l'ont abondamment documenté : c'est largement grâce à notre système éducatif, à l'époque l'un des meilleurs au monde, que notre pays a pu traverser les immenses épreuves des deux conflits mondiaux et leurs conséquences sociales, économiques, politiques, géopolitiques, et s'en relever.

Ce que nous sommes aujourd'hui, nous le devons à l'école de la République. Elle est littéralement un bien commun, non seulement parce que tous les Français lui confient l'éducation de la chair de leur chair, mais aussi parce qu'elle est au sens propre une institution qui permet le « vivre ensemble » cher à Renan et qui fait de nous une nation.

À ce titre, l'école est un espace aussi sacré que celui où nous avons l'honneur de siéger. Ce sanctuaire doit être protégé des entreprises centrifuges qui le menacent, au même titre que notre cohésion sociale et nationale. La marchandisation généralisée des échanges entre les humains, l'omniprésence d'une vision du monde centrée sur l'individu, considéré comme le consommateur-roi au sein d'un marché mondialisé, produisent des effets délétères sur les comportements individuels. Ceci trouve évidemment sa traduction dans nos écoles : omniprésence des réseaux sociaux et de leur cortège de désinformation, de propagande, de harcèlement, de tentatives commerciales, politiques et religieuses d'influencer nos enfants ; dictature de la mode, du soft power anglo-saxon, de l'émotion, de l'immédiateté. Nos enfants sont une pâte bien malléable pour les Gafam, les géants du numérique, et tous les vecteurs de l'individualisme, de l'égocentrisme et du narcissisme.

Les professeurs témoignent régulièrement des difficultés de concentration des élèves, des tensions et rivalités liées à des questions vestimentaires ou de style de vie, conduisant parfois à des harcèlements ou des violences. L'éparpillement mental, moral et social des élèves est tel qu'il devient difficile de parler de classe, de faire la classe, d'enseigner.

À l'inverse, comme en réaction au confusionnisme généralisé, une idéologie politico-religieuse prend pied peu à peu jusqu'au sein de l'institution scolaire. Dans les territoires perdus de la République, dans les « territoires conquis de l'islamisme » décrits de manière saisissante par Bernard Rougier, l'islamisme radical étend son emprise. Cette idéologie est de nature intrinsèquement totalitaire, comme l'admettent la plupart des politologues. La montée de l'islamisme dans nos établissements scolaires n'est pas un phantasme. Ceux qui la décrivent, ce sont les personnels de l'Éducation nationale, l'institution scolaire elle-même, nos organes de sécurité intérieure dans des notes toutes récentes, ou le Président de la République dans son discours des Mureaux sur le séparatisme. L'école est devenue une citadelle assiégée.

L'école de la République, naguère fière institution nationale, unanimement respectée pour sa rigueur, mais aussi pour son sens de la justice et du mérite, notre école, socle et pilier de notre société, est en voie de déclassement et ce processus semble s'accélérer. Ai-je besoin d'entamer la triste litanie de nos médiocrités scolaires ? Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves), Pirls (programme international de recherche en lecture scolaire), Timss (tendances dans l'étude des mathématiques et des sciences), Cedre (Collectif de l'enseignement à distance responsable et engagé), JDC (journée défense et citoyenneté) : tels sont les acronymes qui, session de tests après session de tests, signent la descente aux enfers de notre système éducatif. Dans les comparaisons internationales, nous sommes classés à des rangs médiocres, parfois même en queue de peloton. Les JDC font état d'un taux d'illettrisme de 11 % chez nos jeunes âgés de 17 ans, et 25 % d'entre eux éprouvent, comme on dit pudiquement, des « difficultés de lecture ». Dans le document budgétaire de la mission Enseignement scolaire pour 2023, il est indiqué au détour d'une phrase, que la moitié des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas la lecture fluide, ce qu'ont confirmé les représentants de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance devant la mission d'information chargée de dresser un panorama et un bilan de l'éducation prioritaire.

Il n'est pas ici question de se complaire dans des prédictions déclinistes ou catastrophistes, mais simplement de vous convier à un exercice de lucidité. Convenons-en, la maison brûle et nous regardons ailleurs.

Le temps de la refondation de notre école est donc venu. C'est précisément ce à quoi prétend contribuer, modestement mais résolument, la proposition de loi (PPL) que je soumets à votre examen – une simple pierre apportée à l'édifice.

Cette PPL est toute simple. Sa portée cependant devrait être inversement proportionnelle à sa concision. Son article unique vise à instaurer une tenue uniforme d'établissement pour tous les écoliers et collégiens de l'enseignement public. Il s'agirait d'une obligation légale, pour le temps scolaire. Chaque conseil d'école ou chaque conseil d'administration de collège arrêterait lui-même la coupe, la couleur, l'aspect de la tenue d'établissement – une tenue d'été, une tenue d'hiver et une tenue de sport. La loi entrerait en application à la prochaine rentrée pour permettre aux écoles, aux collèges et aux familles de prendre leurs dispositions.

Le signal envoyé est symbolique et connaît une déclinaison pratique. L'école de la République ne connaît que des élèves. Les distinctions sociales, de fortune et de culture que manifestent les tenues civiles, comme des marqueurs sociaux et culturels, sont effacées symboliquement et pratiquement. Lorsqu'un enfant franchit le seuil de son école, il change de statut : il devient un élève et il en revêt la tenue.

Cette tenue, partout où elle est déjà portée, en France ou à l'étranger, est un motif de fierté pour les élèves, car elle les identifie à l'institution qui les éduque. C'en est fini des rivalités entre marques de vêtements ou de chaussures, des petits rackets et des tentatives d'imposer des tenues de facture religieuse dans nos collèges publics. L'école redevient visuellement et symboliquement le sanctuaire républicain du savoir, du travail scolaire, de la construction de l'intelligence et de l'autonomie de l'élève qu'elle doit être.

Il n'est donc pas indifférent que le texte que nous examinons soit une proposition et non un projet de loi. Symboliquement, la représentation nationale a ici l'occasion de montrer que le peuple français n'entend pas laisser son école glisser sur la pente du déclassement.

Certes, cette PPL ne saurait régler à elle seule les immenses problèmes qui affectent aujourd'hui l'école. Il s'agit d'un signal politique destiné à faire pièce aux forces centrifuges qui abîment l'école et à montrer notre volonté de sanctuariser l'école de la République. Jean Zay n'écrivait-il pas, dans sa circulaire du 31 décembre 1936, que « les écoles doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » ?

Je veux croire que, sur ce texte, une majorité est possible. La question de l'uniforme scolaire a déjà été soulevée par diverses majorités, en 2003, en 2013 et en 2017. Récemment encore, le ministre Blanquer évoquait une tenue vestimentaire « républicaine ». Les Républicains ont déposé nombre de propositions de loi sur cette question, et je me suis inspiré de leur travail. Il semble même que le groupe Renaissance s'interroge ces derniers temps. Le ministre, enfin, a indiqué être prêt à « y réfléchir » devant notre commission.

Cette obligation semble scolairement, socialement et politiquement acceptable. Elle est, du reste, attendue par 63 % de nos compatriotes.

Au-delà de nos différences et de nos divergences, je vous invite à adopter cette proposition de loi et à faire aujourd'hui un choix éclairé, entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, pour que vive l'école de la République.

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